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IN VINO
VERITAS

Lorsqu’on rentre dans une ancienne cave coopérative, on y ressent généralement une ambiance particulière, limite angoissante, les lieux sont sombres, une forte odeur d’humidité et de vin monte aux narines. De longues allées bordées de vieilles cuves aux trappes partiellement ouvertes se profilent, vous invitant à entamer une visite dans un labyrinthe d’ivresse, invitation qu’il est impossible de refuser !
Après avoir fait le tour de la cave, je trouve un accès par un discret rideau de fer découpé à la disqueuse, plus qu’il n’en faut pour pénétrer. J’arrive directement dans une large et longue allée sombre. Une fenêtre, tout au bout, laisse rentrer le seul point de lumière me faisant découvrir les cuves aux trappes ouvertes surplombées d’une grande charpente faite de métal et de bois. Je déambule lentement dans la pénombre de ce large couloir, mon pied percute une vieille bouteille qui jonche le sol, puis deux, paradoxe des choses, ce sont de vieilles canettes de bière, accompagnées des restes de quelques bougies, certainement les vestiges d’une bande de copains en manque d’émotions fortes venus chercher leurs taux d’adrénaline lors de fêtes nocturnes ! Plus loin, c’est une valise bleue qui m’interpelle, posée sur le sol, comme oubliée par un voyageur retardataire parti précipitamment embarquer vers un dernier voyage sur un quelconque Titanic, ou, peut-être plus simplement ce même voyageur aurait-il été effrayé par ce grand graffiti d’une tête encagoulée qui m’observe du bout du couloir de droite... Je me dirige donc vers lui, il me regarde comme un activiste qui cherche à me mettre en garde : «ne t’approche pas, mon trésor est là, personne ne doit y toucher...» ce trésor se dévoile enfin à mes yeux, il me tourne le dos, derrière une vieille cuve à vendange...un vieux Berlier !
Je contourne la benne, me faufile entre le mur et le camion, le passage est étroit, il est là, superbe, je m’accroupis face à lui, le regarde et prend le temps d’apprécier la beauté de cette masse qui cuve dans cette étroite allée ! J’aurais pu rester des heures à le regarder, il me fait rêver, mais je dois garder à l’esprit qu’il ne faut pas que je traîne, quelques indices, comme un stock de paille dans une allée et quelques cadenas neufs sur certaines portes m’indiquent que la cave n’est pas totalement abandonnée, avec ma voiture garée devant, en bord de route, à la vue de tout le monde, il n’est pas difficile de deviner qu’il y a un intrus ! Dans la mesure du possible, je préférerais ne pas me faire attraper ici.
Je remets donc mon sac photo sur l’épaule, et continue mon exploration. J’entre dans une grande pièce, plantée de hautes colonnes qui soutiennent la lourde charpente métallique de la toiture, quelques tuyaux de pompages traînent, par-ci par-là. Sur le côté un escalier attire mon attention, je l’empreinte (et n’oublie pas de la rendre..... Boaf... je sais elle est nulle..!) et arrive sur une grande terrasse intérieure parsemée d’ouvertures au sol, de longs tuyaux tombent de la toiture, je suis au sommet des cuves, surtout faire attention où je mets les pieds, pas envie de finir au fond d’une d’entre elles, il y a peu de chances que quelqu’un vienne me chercher ici. Sur les côtés de larges fenêtres laissent entrer la lumière rasante de cette fin de journée, idéal pour les photos !!!! Je pose donc le pied, installe l’appareil et prends quelques clichés.
Ma visite continue et m’entraîne à mon grand bonheur hors du temps, la bouche de ce qui pourrait être le résultat d’un croisement entre Bacchus et un Cyclope me fait face, j’entre et la magie opère, je me trouve dans une immense pièce toute en pierre, le graff d’une tête de mort aux yeux rouges sur un tonneau démesuré donne le ton et plante l’ambiance, sombre, glauque, parallèle... dans quel univers je viens de pénétrer ?
Plus loin, derrière une porte, une pièce couverte de carreaux blancs se dévoile à moi, au milieu une chaise servant de trône à une fiole m’accueille, sur le côté une vieille armoire, portes ouvertes et collée à un évier, plusieurs bouteilles de vin plus ou moins vides et quelques fioles ne laissent aucun doute, il s’agit du laboratoire. On peut aisément imaginer des savants fous, blouses blanches, lunettes et cheveux en l’air s’amuser comme des gamins à créer des mélanges et à se demander ce que le résultat pourrait donner sur la race humaine..... Glups ! Je vais y réfléchir à deux fois avant de boire du vin !!!!!
Je referme la porte et repars dans ce dédale de cuves pour arriver enfin à ce qui fut l’accueil, une pièce vide, poussiéreuse, une vieille chaussure affalée sur le sol semble se demander ce que je fais là... à ma droite, des étagères avec quelques bouteilles oubliées, puis l’ancien comptoir, avec une bouteille vide et un verre posé à côté, une petite particularité du verre attire mon attention, il est marqué de différentes strates, d’où cela peut-il bien venir ? J’ai eu ma réponse quelque temps plus tard, lors d’une exposition photo, un viticulteur présent commence à m’expliquer qu’il s’agissait d’un verre de dégustation, il devait être rempli jusqu’au niveau de la première strate, la plus marquée, puis le temps joue inexorablement son rôle, le vin s’évapore plus ou moins vite, laissant derrière lui les dernières marques d’une longue agonie. Je reste ébahie devant ce viticulteur qui me raconte avec passion le procédé d’évaporation et ses conséquences sur un verre comme un géologue qui s’émeut devant les strates géologiques mises en évidence par les divers processus d’érosions...
À travers la vitre de l’accueil je vois ma voiture qui me fait signe que la visite est terminée, qu’il est temps de la rejoindre et de rentrer !

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